La haine, ou plus exactement la jubilation de la haine, lorsque dirigée contre la figure maternelle, est un sentiment qui demande du courage et une forme de folie pour être exprimé. Courage et folie sont d’ailleurs les traits caractéristiques de Jean, narrateur et héros de l’histoire. Car il s’agit bien d’un récit, et le comédien Aurélien Houver et la metteur en scène Victoria Ribeiro choisissent le parti pris de la relation pour cette adaptation du célèbre roman d’Hervé Bazin. L’acteur en bretelles seul en scène, le vocabulaire fleuri et la langue littéraire ponctuée de néologismes datent le récit et introduisent une distance salvatrice. Car tel est sans doute le tour de force le plus marquant de cette mise en scène : le spectateur, conscient de l’horreur décrite, rit. Et il rit franchement. Il rit de la position austère de Folcoche – la mère tortionnaire –, il rit des bassesses d’un père lâche qui laisse ses enfants en proie aux pires sévices, il rit enfin aux côtés d’une âme qu’il voit s’adonner et se complaire dans la jubilation de la haine. Haine ressentie qui est certes justifiée, mais qui constitue le pire châtiment pour cet enfant qui grandit.
L’excitation toute propre à la jeunesse enfantine teinte le jeu du comédien. Sourire béat, yeux mobiles, mouvements violents sont autant de réactions spontanées qui ponctuent un jeu d’une grande virtuosité. La mise en scène soutient d’ailleurs cette dernière et l’astuce en est le maître mot. Les espaces créés par trois fois rien surgissent avec d’autant plus de vivacité sous nos yeux qu’ils sont suggérés et non incarnés : le raclement d’une chaise sur le plateau figure ainsi les violents virements de bords d’un bateau, la lumière crue douchant le visage de l’acteur assis et son tremblotement symbolisent le voyage à bord de la vieille Citroën familiale… Ces fragments de l’enfance sont autant de clins d’œil à un vécu partagé par les spectateurs – ou les vacances chez les grands-parents pour les plus jeunes –, et qui réfèrent du moins à un imaginaire familier.
De ces sursauts de vie et d’énergie, l’enfant ne retient pourtant qu’une impulsion vers la mort. Vengeance, tentative d’assassinat, considération du suicide par défi, tout n’est qu’un mouvement qui allie paradoxalement la vitalité la plus extrême et la morbidité la plus crasse. La conclusion de cette représentation finit d’ailleurs de clouer le spectateur à son siège : Folcoche, de tout temps de profil, se tourne finalement de face pour éructer ces mots avec délectation au visage de Jean : « De tous mes fils, tu es celui qui me ressemble le plus ». Lutter contre une éducation qui façonne ou l’embrasser pleinement et faire de la haine son chemin, telle est la sentence d’une enfance volée, brisée, et qui de l’humanité n’a expérimenté que la lie. Vipère au Poing est un texte de défi et de désespoir vivace, brillamment incarné par A. Houver et dont le spectateur ne peut sortir que la tête pleine d’interrogations fécondes.
Pour en savoir plus : http://theatredugymnase.paris/vipere-au-poing/