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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

An Irish Story

© David Jungman, photo de presse du Théâtre de Belleville

L’oubli est-il le seul avenir envisageable pour une famille que le secret d’une disparition a scellée ? Kelly Rivière joue Kelly Ruisseau et aborde cette question de la mémoire individuelle – qui ne peut être que mémoire collective – dans cette représentation à la drôlerie fantasque et à l’inventivité débordante. La jeune femme se penche sur la disparition mystérieuse de son grand-père irlandais et de ce point de départ se font et se défont des personnages aux silhouettes mordantes, aux défauts cocasses et aux mimiques savamment caricaturées.

Par cette représentation, K. Rivière parvient à mettre en scène la dualité d’une mémoire faite sienne – ou les scènes hilarantes de séduction avec à la clé la relecture épique de la disparition – et qui malgré tout lui échappe. Comment avancer, comment envisager l’avenir si l’un des maillons est manquant ? Replongée dans les conflits anglo-irlandais, replongée dans une histoire de guerre et d’immigration, cette pièce se refuse au sérieux lénifiant et l’on retient surtout la vitalité d’une actrice virtuose qui virevolte de rôle en rôle. Les accents des personnages, déclinés de l’irlandais rural au british le plus « posh » en passant par l’accent du midi, dessinent une histoire européenne aux cultures d’abord incompatibles. La famille Ruisseau est diablement sympathique, malgré ses défauts, ses non-dits et ses cruautés.

La scénographie dépouillée suffit à habiller la représentation et forme un écrin dans lequel l’actrice évolue. Les photos, qui deviennent des biens convoités, tapissent le fond de la scène et matérialisent dans leur disparité une histoire à trous. Ces vides, il semble que la venue au monde d’une nouvelle génération pousse K. Ruisseau à vouloir les remplir à nouveau. Comme si ce qu’il n’avait pas été nécessaire de comprendre jusque-là devenait un manque insupportable.

Redécouvrir l’histoire de quelqu’un, c’est le redécouvrir lui-même, mais ici point de sentimentalisme : le grand-père disparu aimait certes la femme qu’il a quittée pour ne plus jamais la revoir, mais demeurent dans l’ombre de cette figure retrouvée le spectre de l’alcool, le spectre de l’éloignement et de la pauvreté, lot des immigrés irlandais dans le Londres des années 70. De même, la musique traditionnelle et les chants ne viennent pas adoucir la réalité d’une Irlande qui fut longtemps prisonnière d’un catholicisme rigoriste. La poésie s’échappe pourtant de ces images éphémères, créées sur scène le temps d’une représentation et qui retiennent les applaudissements d’éclater trop vite de peur d’interrompre la magie.

 

Pour en savoir plus : https://www.theatredebelleville.com/programmation/an-irish-story

D’abord publié sur http://www.culture-sorbonne.fr/an-irish-story-kelly-riviere-theatre-de-belleville-novembre-2019/

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