Le gris du ciel envahit l’écran et semble tout absorber, les branches mêmes des arbres se détachant avec difficulté de ce monochrome écrasant. Grise est l’herbe, grises sont les maisons et le spectateur craint soudain d’être avalé lui-même, avant que la chevelure brillante et blonde d’un enfant révèle l’éclat possible d’une vie.
Oui, il est possible de vivre dans cet océan d’abandon, dans cette vague de froidure qui semble figer le Missouri américain dans une éternité de pauvreté. Et de quelle vie s’agit-il en effet ! Au milieu des carcasses de voitures abandonnées et des chiens tout aussi affamés que le sont les hommes prospère le business de la drogue. La métamphétamine ou le fléau de l’Amérique des campagnes est le sujet de ce film, mais il ne vole pas la vedette à Jennifer Lawrence qui incarne tout en nuances cette grande sœur déterminée.
Loin de faire de son personnage une jeune fille déjà endurcie et qui ne craint plus rien, l’actrice qui fut d’ailleurs révélée à l’occasion de ce film parvient à saisir les nuances d’une femme forcée par la vie à se débrouiller seule. La peur, souvent palpable au détour d’un froncement de sourcils ou d’un mouvement de recul instinctif, est tout autant ce qui motive la jeune fille que le désir de sauver sa famille. Un étrange code de l’honneur digne du farwest ou de la mafia organise ce petit monde où la mort semble l’issue la plus favorable à une existence dont on ne sait plus très bien si elle vaut la peine d’être vécue. Les liens du sang ont une signification concrète et les personnages ne cessent de s’y référer, origine du pire comme du meilleur.
Le film capture l’essence de cette Amérique délaissée où les enfants ne vont pas à l’école et où il est possible de se retrouver à la rue du jour au lendemain. Face à l’adversité qui fait sombrer dans la folie, condamne à la prison ou à la mort, les femmes occupent un rôle décisif bien que contradictoire : parce qu’elles sont les plus sûres garantes d’un système qui les opprime tout en possédant une force incroyable qui leur confère un pouvoir presque plus grand que celui des hommes. Debra Granik signe ici un chef d’œuvre du western féminin dont émane un cri silencieux, cri dont l’écho semble s’être perdu dans l’immensité des paysages américains.
Pour en savoir plus : http://www.champselyseesfilmfestival.com/2019/debra-granik-%e2%80%a2-invitee-du-festival/movie-400-winter-s-bone
D’abord publié sur http://www.culture-sorbonne.fr/retrospective-winters-bone-debra-granik-champs-elysees-film-festival/