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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Lucrèce Borgia

© Christophe Raynaud de Lage, photo de presse de la Comédie-Française

L’homme est-il un monstre ou le monstre un homme ? Le mal est-il héréditaire et existe-t-il un point de non-retour dans le crime ? Un sursaut de générosité, quand bien même égoïste, suffit-il à délivrer une âme de sa noirceur ? Telles sont les grandes questions du drame, par ailleurs familières aux lecteurs de Victor Hugo, soulevées par cette pièce aux accents shakespeariens que la Comédie Française redonne à voir cette année. Auparavant incarnée par Guillaume Gallienne, Lucrèce Borgia apparaît désormais sous les traits d’Elsa Lepoivre qui révèle toute la sensualité vénéneuse de cette femme de pouvoir. La voix grave de l’actrice, le flot suffoquant des paroles, sa beauté claire et blonde irisée par sa robe noire, tout en elle séduit et inquiète le spectateur. Ce dernier est immergé dans le romanesque de l’intrigue, soutenue par une musique digne du mélodrame et qui fait échapper la représentation à une inutile gravité. L’émotion, la tension et la pitié sont bien présentes aux côtés d’un franc divertissement à l’égard duquel le public se montre reconnaissant. Les acteurs, portés par une scénographie flamboyante, évoluent dans des costumes d’une richesse certaine, construisant et déconstruisant sous nos yeux des tableaux dignes du Caravage. Venise et ses fantômes bleus et blancs, contrastés par les diablotins en rouge et noir de Ferrare, symbolisent une Italie divisée et en proie à toutes les ambitions. (suite…)

La Nuit des Rois ou tout ce que vous voudrez

© Jean-Louis Fernandez, photo de presse de la Comédie-Française

Les comédies méritent et demandent qu’on les mette en scène. Ostermeier le prouve une nouvelle fois à son public en choisissant de monter la Nuit des Rois ou tout ce que vous voudrez à la Comédie Française. Texte shakespearien d’autant plus difficile d’accès qu’il repose sur l’humour, il est ici révélé par la mise en scène exubérante et jubilatoire qu’en propose le metteur en scène allemand. En effet, ce drame de la représentation est une farce aussi cruelle que drôle et qui rappelle à son spectateur à quel point le rire est puissant, et donc bien souvent destructeur. Complice d’une violence tout d’abord latente puis explicite, le rire du spectateur le rend coupable de la méchanceté perverse qu’il voit s’exprimer devant lui. Il s’agit pourtant d’une pièce où l’on rit vraiment et Laurent Stocker et Christian Montenez s’en donnent à cœur joie, mêlant folie, grossièreté, esprit et lucidité. L’aspect contemporain de certains sketchs est ici bienvenu, et placé dans la bouche des fous, il sous-entend que la conscience sociale de l’époque leur appartient et qu’en un sens, c’est à eux que nous devrions prêter attention. (suite…)

Britannicus

© Brigitte Enguérand, photo de presse de la Comédie-Française

D’Agrippine, de Junie ou d’Octavie, quel nom choisir pour esquisser le sujet imprévu du Britannicus de Racine : les femmes ? La mise en scène de Stéphane Braunschweig épouse l’étrange paradoxe de cette lutte fratricide pourtant délivrée par la main de ces exclues omniprésentes. Agrippine, convaincante Dominique Blanc, ouvre le chant du « monstre naissant »1 dans l’antichambre du pouvoir : cependant, si cette tragédie a souvent été présentée comme intimiste, préférant à la tribune les coulisses, son sujet n’en demeure pas moins hautement politique et il serait ici dommage de dissocier l’affaire de famille et l’affaire d’Etat. Le squelette de la table ovale désertée, où siègent d’habitude les ministres, tantôt apparaissant de front ou obscurcie d’un voile trompeur, demeure le lieu de décisions et d’actions qui auront une répercussion publique indéniable. Les personnages féminins structurent les relations entre les hommes et ne sont pas de simples prétextes à l’affrontement mais bien les raisons de celui-ci. Agrippine ou la femme qui se rêve empereur de l’ombre refuse d’écouter le précepte selon lequel « Rome veut un maître, et non une maîtresse »2, de même que Junie refuse de comprendre que l’on puisse vouloir plus de mal à un homme, Britannicus, déjà dépossédé de tout. (suite…)

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