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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Bérénice

© Elizabeth Carecchio, photo de presse de l'Odéon, théâtre de l'Europe

« Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir »

Ce vers, de la plume de Corneille, essentialise ce qu’est Bérénice de Racine. Comment concilier cette exténuation des passions avec l’idée que Bérénice est une pièce écrite de « rien » et où il ne se passe « rien » ? Comment relever le défi de la mise en scène de cette nudité tragique ? Comment comprendre ces mots que Racine choisit pour dépeindre l’amour total qu’il poétise dans Bérénice ?

Célie Pauthe a fait le choix du drame historique pour s’approprier l’héroïne et y puiser les ressources de la tragédie. Reine de Judée, contrée de Jérusalem et du peuple Juif, Bérénice est comprise comme figure de toutes les diasporas, corps sacrifié à l’exil sans espoir aucun d’avenir. La jeune femme, dépositaire de la religion du Livre et portant la responsabilité historique d’aimer le bourreau du Temple de Jérusalem, crie son malheur et l’injustice de sa condition en hébreu. L’accent porté à l’Histoire, qui a fait accéder ses héros à la légende, tente d’ancrer le drame insaisissable que ses protagonistes traversent, et ce également grâce à la projection du court-métrage de Marguerite Duras « Césarée ». Ce dernier évoque un passé dans lequel les personnages se sont rencontrés, sables mouvants sur lesquels ils tentent de créer un avenir. Faire résonner la voix de Marguerite Duras, qui ponctue la mise en scène, faire entendre les alexandrins de Baudelaire qui se mêlent si bien à ceux de Racine, invoquer les images et les sons d’une culture étrangère à laquelle appartient Bérénice sont autant d’idées, qui certes intelligentes et justifiées, semblent couvrir à peine l’embarras auquel chaque metteur en scène doit faire face lorsqu’il s’attache aux pas de Bérénice. Tenter de combler l’absence par autre chose, par un ailleurs ou un hors-scène, ne permet pas d’échapper au cœur du problème dramatique, à ce « rien ».

Ce « rien » contraint alors la pièce à ne reposer presqu’exclusivement que sur les acteurs et le texte lui-même. Ici, la pièce se révèle et prend forme grâce à l’interprétation de Mélodie Richard, Bérénice exaltée et cruelle, désespérée et courageuse. La scénographie, très sobre, laisse toute la place aux acteurs, et la performance de Mounir Margoum en Antiochus est d’autant plus appréciée qu’elle contraste d’avec celle de Clément Bresson en Titus : ce dernier, peu empereur, ne transmet pas la profondeur de la douleur qu’il inflige et à Bérénice et qu’il s’inflige à lui-même. Victime de son amour plus que sujet de celui-ci, le jeu lâche adopté ne reflète pas le passionnel qui sût braver les conseils de l’empereur. L’empathie étant morte, le spectateur lutte lors des nombreuses confessions de Titus pour y être encore sensible. Néanmoins, le texte de Racine résonne et l’on a plaisir à voir jusqu’au bout cette extinction des êtres par leurs passions. Bravade amoureuse, bravade esthétique et dramatique, cette pièce demeure un chef-d’œuvre de la tragédie, doctement livrée par la mise en scène de Célie Pauthe.

Pour en savoir plus : http://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2017-2018/spectacles/berenice

D’abord publié sur http://www.culture-sorbonne.fr/berenice-2/

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