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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Kanata – Episode I – La Controverse

© Michèle Laurent, photo de presse du Théâtre du Soleil

Peindre l’onirique des origines, tel semble être le projet de Robert Lepage et des acteurs du Théâtre du soleil à l’occasion de la représentation de Kanata. La pièce se propose en effet de retracer à petites touches l’histoire des autochtones canadiens, du rêve d’un homme en harmonie avec son milieu au cauchemar du déracinement. Comment témoigner du sentiment de déplacement, alors même que l’on demeure au sein de sa « nation » ? Le metteur en scène et les acteurs deviennent ici créateurs d’espaces au sein d’une ingénierie qui touche au génie : jamais un endroit ne demeure le même, jamais un objet ne se réduit à sa seule fonction. De ce mouvement incessant naît une ivresse, parfois effrayante et source de perdition mais de laquelle bien souvent émerge la plus pure poésie. Les images de la barque glissant sur l’eau, la maîtrise esthétique parfaite des décors filmés ou encore la danse ébauchée des corps transportent le spectateur en un ailleurs poétique. Prendre le temps de la beauté dans un spectacle marqué par une grande violence est un parti pris salvateur.

Comment retracer l’histoire d’un peuple et de sa tragédie, alors même qu’ils ne sont pas nôtres ? Quels droits donnent l’émotion et la compassion ? C’est la « controverse » dont il est question ici. La pièce présente les doutes d’une jeune peintre française venue s’installer à Vancouver et qui, après qu’une de ses amies autochtones a été assassinée, décide de monter une exposition pour dénoncer la violence dont sont souvent victimes ces jeunes femmes « natives ». La pièce s’inspire ici de faits réels puisqu’un tueur en série canadien a fait de ces femmes, souvent contraintes à vivre dans la rue et à se prostituer, ses victimes privilégiées. Or, les familles de ces dernières réagissent durement face à ce projet qu’elles considèrent être une appropriation de leur douleur. « Being moved doesn’t allow you! » (« être touchée ne t’autorise pas ! ») dit ainsi la mère d’une des femmes assassinées. Privés de leurs origines car enlevés enfants à leurs parents, placés dans des pensionnats et souvent baptisés de force, ces hommes et femmes sont également privés de leurs enfants par une mort qui semble due à leur héritage de premiers habitants du Canada. Le souvenir est ce qui demeure et s’en détacher devient ainsi douloureux.

Fabuleuse mise en abîme, cette pièce pose aussi la question du statut de l’artiste et en particulier celui de l’acteur. Qu’implique la représentation ? Qu’implique le fait de jouer l’autre sur scène ? Quelles en sont les conditions essentielles ? Robert Lepage, qui s’est vu retirer le financement de son spectacle au Canada parce qu’il n’y a aucun acteur autochtone dans la troupe d’Ariane Mnouchkine, répond ainsi : « le théâtre donne une permission de jouer l’autre. De s’autoriser à raconter l’autre » et ce parce qu’il fait état d’une expérience commune : ici le récit des Premières Nations. La compréhension dans le respect autorise l’acteur à incarner l’autre et à le présenter comme tel au public. Et force est de constater que peu nous importe que l’acteur soit de telle ou telle origine lorsque la vérité qui transparaît de son jeu parvient précisément à dépasser toute frontière.

Pour en savoir plus : https://www.theatre-du-soleil.fr/fr/notre-theatre/les-spectacles/kanata-episode-i-la-controverse-2018-2164

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