Menu

La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Le Pays Lointain

© Jean-Louis Fernandez, photo de presse de l'Odéon, théâtre de l'Europe

La carcasse d’une voiture, lien scénique entre la famille choisie et la famille de naissance du héros, hante la scène de l’Odéon à l’occasion de la mise en scène du Pays Lointain par Clément Hervieu-Léger. Louis, sur le point de mourir, décide de revenir en province chez ses parents pour leur annoncer la tragique nouvelle. La pièce, dont la forme surprend le spectateur par sa langue lyrique et par son long prologue, représente sans fard l’exténuation des relations humaines. Le fils, ou plutôt l’auteur lui-même, apparaît comme un homme solitaire dont l’hypocrisie et le désespoir de la démarche sont fortement soulignés par son « ami de longue date » : il revient chez lui après avoir abandonné ses proches en sachant que parler de sa mort prochaine provoquera leur pardon immédiat.

L’abandon, sa violence et son inévitabilité habitent le plateau et font revivre les fantômes des années sida. Les photos des amants évoqués sont ainsi accrochées à la palissade au fond du plateau, symbole d’une frontière avec la mort trop souvent franchie. Seuls la hantent le père et l’amant préféré, assis et les jambes ballantes, témoins tristes et bienveillants du drame. Car la représentation, si elle ménage des moments d’intense émotion – le monologue de l’amant préféré, sublime au milieu des fleurs et brillant d’autodérision au sujet de ses « derniers temps ! » – n’est pas chantre d’un désespoir indépassable. Testament et confession, cette longue partition insiste en effet davantage sur la nécessaire honnêteté vis-à-vis de soi et de ceux qui nous sont les plus proches, et ce malgré la blessure de l’abandon, blessure obsédante.

La violence, omniprésente néanmoins, est soulignée par les projecteurs crus qui s’éteignent au rythme précis des percussions. Le langage, sans cesse modifié et précisé, accompagne ce désir d’honnêteté et crée une musique qui distille dans la salle une poésie certaine. Cette constante reprise des mots provoque cependant un certain malaise, comme témoignant de l’impossibilité des personnages à dire ce qu’ils pensent. Comme si le langage ne pouvait toujours qu’imparfaitement traduire et exprimer le flot indomptable de la pensée. Cette incapacité, incarnée dans des figures loin d’être héroïques, est exposée grâce au jeu choral des acteurs. Tous présents sur scène à chaque instant, ils expriment cette hésitation fondamentale du choix des mots, qui une fois fixés et prononcés révèlent toute leur violence symbolique. Ne jamais parvenir à dire, et ce au sein d’une pièce très loquace, souligne un paradoxe que notre ère de la communication connaît bien désormais. Les corps semblent alors dire bien plus qu’une simple parole, et la scène finale, très visuelle, où Louis se déshabille pour rejoindre la friche ferroviaire aux blés sauvages, illustre ce parti pris de la belle mise en scène de Clément Hervieu-Léger.

Pour en savoir plus : https://www.theatre-odeon.eu/fr/saison-2018-2019/spectacles-1819/le-pays-lointain

Abonnez-vous à mon blog par email:

Loading