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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Masterclass – Rick Alverson

Genèse du film et motivation

R. Alverson a construit le personnage de Wallace Fiennes, incarné par Jeff Goldblum, à partir des recherches très précises qu’il a menées à propos de Walter Freeman, l’authentique docteur qui a tant « démocratisé » la pratique de la lobotomie aux Etats-Unis. Ces recherches étaient nécessaires afin de travailler avec les acteurs, mais le but n’était pas de faire un film historique. Trois quarts de ce qu’il a appris a finalement disparu dans le produit fini. Questionner la manière dont le destin de ce personnage parvient à incarner l’idéal américain du progrès, très lié à l’idéal de la virilité, a été l’une des motivations principales du réalisateur pour entreprendre le film.

The Fifties : a golden age

Ce mythe du « il faut aller de l’avant » coûte que coûte, sans égards pour les conséquences, est devenu en quelque sorte la marque de fabrique des Etats-Unis et les années 50 répondent tout particulièrement à cet idéal. Le réalisateur a donc voulu démythifier cette période considérée comme glorieuse, ceci alors même qu’un tout petit pourcentage de la population était effectivement au pouvoir, au détriment de la majorité. La doctrine de D. Trump « Make America great again » se réfère notamment à cette période de l’histoire des Etats-Unis. Afin de détruire cette nostalgie déplacée, R. Alverson a donc décidé d’aller à l’encontre d’un hyper-réalisme devenu la norme au cinéma. Ses personnages avancent dans un musée de cire, il a tenté de les figer et d’englober son film d’une froideur omniprésente, bien loin de la légende dorée des années 50.

Post-narrativité et esthétique

Le cinéma ne peut pas se réduire au fait de raconter une histoire, il est aussi expérience formelle. R. Alverson déclare alors qu’il considère la narration comme un outil dépassé et qui n’est plus digne de confiance : le contenu dans l’art a étouffé la forme, alors même que le langage est aisément manipulable et outil de manipulation. Ainsi, dans son film, les propos des personnages et l’enchaînement des événements sont toujours en contradiction avec la forme qui vient révéler ce en quoi la narration est problématique. D’autre part, l’esthétique du musée de cire évoqué auparavant permet de souligner l’artificialité des images qu’il faut également questionner. Celles-ci, trop souvent confondues avec la réalité, sont aujourd’hui instrumentalisées et les gens n’y répondent que par la passivité. Selon lui, elle est ce qui prépare les foules à la domination et toute personne avertie se doit de lutter contre elles afin d’en saisir la véritable signification.

Cinéma et politique

Le cinéma de R. Alverson est toujours politique, ici parce qu’il dénonce ce laisser-faire ambiant, ce désintérêt général face à des décisions dont notre silence nous rend en quelque sorte complices. Ce « stoïcisme courageux » est trompeur et trop lié à une image stéréotypée de la masculinité. Il faut donc lutter contre les images qui peuvent désinformer. D’où le mythe de l’hermaphrodite qui permet d’aller au-delà des limites imposées par la société. Par ailleurs, la scène où le jeune homme entre dans la pièce couverte de photos pornographiques et où il voit pour la première fois un corps hermaphrodite est en fait un souvenir du réalisateur.

Autres mythes et travail avec Denis Lavant

Le mythe du road movie est la quintessence du cinéma américain car il représente l’horizon illimité, l’utopie par excellence. Les Américains sont presque formatés par ces images, il s’agit d’une quasi religion – il cite à cette occasion le film Two-Lane Blacktop de Monte Hellman. C’est pourquoi le détour par ce mythe est en quelque sorte un passage obligé pour qui veut comprendre et déconstruire les origines du rêve américain.

Le travail avec Denis Lavant a été extrêmement intéressant, l’acteur français qualifié de bourreau de travail. Ils se sont penchés ensemble sur les textes d’Antonin Artaud et des surréalistes pour travailler son personnage. Ils avaient toujours besoin d’un traducteur ce qui a donné lieu à des situations cocasses où ils ne pouvaient plus communiquer que par les gestes, et R. Alverson conclut ainsi en riant : c’est sans doute la meilleure façon pour un réalisateur de diriger ses acteurs.

Pour en savoir plus : http://www.champselyseesfilmfestival.com/2019/avant-premieres/movie-384-the-mountain-une-odyssee-americaine

D’abord publié sur http://www.culture-sorbonne.fr/champs-elysees-film-festival-the-mountain-une-odyssee-americaine/

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