Après avoir pénétré dans une salle intimiste du théâtre du Rond-Point, rideaux bleus, sièges en estrade dont la capacité d’accueil doit être d’une centaine de postérieurs, le spectateur attend l’entrée en scène de Fabrice Adde. Une douce musique aux effluves d’Amérique latine emplit l’espace. Soudain, baskets rouges, costume beige trop grand, raie sur le côté et lunettes transparentes, Jacky entre en scène. Ou bien est-ce Fabrice. Ou les deux à la fois. Difficile de savoir où s’arrête le réel, où commence la fiction (« la vraie vie » selon Proust) et l’acteur s’en donne à cœur joie. Peu tendre envers sa profession, il exploite jusqu’au bout la maladie du comédien, trouble de l’identité qui le pousse à incarner son personnage dans la rue, avec les gens, jusque dans l’intimité (ou le complexe d’Œdipe revisité dans les éclats de rire). Le monde du théâtre au complet se fait d’ailleurs refaire le portrait, du scénographe au metteur en scène, vrais snobs (« Je le jouerai plus en-dessous, tu vois ») et fausses victimes de la mode (comme celle de l’omniprésence de la captation vidéo sur scène), en passant par le directeur du théâtre et le chargé en communication. Les planches semblent un lieu bien censuré pour qui veut s’exprimer hors des clous.
Grande satire du marché de l’art et de la lecture qu’en font les intellectuels, ce stand-up littéraire a de quoi séduire. La gauche en prend pour son grade, faisant les frais de sa recherche de « message » à tout prix dans les œuvres. Ici, rien de plus simple : pas de message. Pas de propos. Rien à en tirer. Bon à jeter selon les lois implacables de la communication. Même le titre ne rime à rien, n’ayant pas la portée historique, politique ou philosophique normalement attendue par les spectateurs citoyens de bonne conscience. Et pourtant. Et pourtant dans le rire et parfois l’émotion, 14 Juillet interroge la pertinence de l’acte théâtral dans une société où l’individu doit confondre despotisme et confiance en soi pour réussir. Débattre et échanger se résume aux formules « je suis le meilleur, j’ai raison, je suis le meilleur » qui résonnent dangereusement telle une mécanique enrayée. Les mots de Valère Novarina se font alors l’écho de ce spectacle au goût doux-amer : « Voici que les hommes s’échangent maintenant les mots comme des idoles invisibles, ne s’en forgeant plus qu’une monnaie : nous finirons un jour muets à force de communiquer […]. »1.
Pour en savoir plus : https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/14_juillet/
Egalement publié sur http://www.culture-sorbonne.fr/14-juillet-fabrice-adde/
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1 NOVARINA, Valère, Devant la parole [2010], P.O.L éditeur, p.13.