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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent

© Les Gémeaux : Scène Nationale-Sceaux, photo de presse

« Etre ou ne pas être », telle n’est plus la question. Il nous faut arracher la joie aux jours qui filent, pièce donnée au Théâtre des Gémeaux, propose une réponse existentialiste à ce dilemme de l’introspection. Il n’est plus ici question d’être, mais bien d’exister. Hamlet fait le choix de la vie, le choix de l’amour et de l’avenir. Cette relecture séduisante d’un personnage qui sort de lui-même pour dépasser sa paralysie traumatique, pour s’ouvrir à une hérédité qui commence avec lui et qui ne s’embarrasse plus d’un passé empoisonné, n’est malheureusement pas exploitée jusqu’au bout. L’amour solaire des deux jeunes amants, en passe de devenir parents, est abîmé par l’omniprésence de l’inceste et par une destinée toute Œdipienne. Qui croit pouvoir échapper à son destin, au déterminisme de sa condition ou de sa famille, se trompe. En cela, la relecture de Benjamin Porée se révèle sans doute être moins novatrice qu’espérée.

« Être ou ne pas être » : telle n’est plus la question et la pièce ne s’en cache pas. Le metteur en scène fait le choix de l’extériorité pour interpréter ce drame de l’intériorité, et force est de constater qu’il s’agit d’une décision périlleuse. En effet, là où le personnage auparavant éponyme de la pièce de Shakespeare était célèbre pour sa solitude tourmentée et délibérative, l’Hamlet de Porée est désormais explicité, ses dilemmes extériorisés, et ce notamment dans une relation à un Dieu omniprésent. La parole se construit alors comme adresse à un autre et n’est plus considérée comme dialogue de l’âme avec elle-même. L’utilisation de la caméra dont l’image est projetée sur un écran en fond de scène tente de remplacer cette parole absente du soi à soi. L’image réfléchissante se présente comme miroir d’une parole intérieure qui ne peut plus se dire, mais elle échoue bien souvent à signifier ce secret qu’est l’homme pour lui-même. Les séquences de presque quarante minutes de film, sans nécessaire référent sur scène, alourdissent le récit et perdent l’attention du spectateur qui peine à se reconcentrer sur la scène de théâtre.

« Etre ou ne pas être » : telle n’est plus la question mais les personnages l’abordent tout de même avec violence et souffrent de l’extrême d’un tel questionnement. Claudius, faible meurtrier pétri de remords, se relève pourtant comme monstre de la volonté, antéchrist dénaturé par la soif de pouvoir. Il s’agit pour lui d’être, et ce dans la toute-puissance, ou de se consumer, et l’acteur Christophe Grégoire parvient à insuffler à merveille cette nouvelle audace au personnage. Il est cependant dommage que le metteur en scène ait voulu expliciter toute ambiguïté, et ce de manière presque systématique. Ainsi, le lien incestueux entre Hamlet et sa mère est révélé dans une mise en scène qui touche à l’ultra-violence, la folie des personnages n’est pas discutée un seul instant et Polonius, principal souffle comique de la pièce originale, devient le Mal incarné. Ainsi, le spectateur assiste à une représentation intense de trois heures, dont les choix, certes contestables, servent néanmoins une lecture qui prend pour mesure la famille plutôt que l’individu, la prière plutôt que le monologue. Ils permettent à Benjamin Porée d’aborder des chemins qui n’ont pas été nécessairement parcourus et ce sans doute du fait de leur escarpement.

Pour en savoir plus : http://www.lesgemeaux.com/spectacles/variation-dapres-hamlet/

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