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La Souffleuse

« comme le sens a besoin des mots, ainsi les mots ont besoin de notre voix »

Retour à Reims

© Mathilda Olmi, photo de presse du Théâtre de la Ville

Passer la porte d’un théâtre, puis entrer dans un studio de radio, pour finalement s’immerger dans les images d’un documentaire afin de mettre en scène un essai sociologique et philosophique, tels sont les rites de passage imposés par Thomas Ostermeier dans Retour à Reims. Ce vaste champ des possibles est exploité avec doigté et permet au spectateur de comprendre pourquoi il est si délicat d’adapter à la scène un écrit autobiographique. En effet, le texte qui nous est lu par Irène Jacob est extrait de l’essai du même titre de Didier Eribon. Dans cet ouvrage, l’auteur retrace son exil voulu de la banlieue de Reims à Paris et de la classe ouvrière à laquelle appartient sa famille à l’intelligentsia mondaine. Au fil des lignes, il devient de plus en plus évident que son rejet du milieu familial fut un rejet de classe, aussi bien qu’une protection salutaire contre l’homophobie. Il décrit ainsi en quoi il lui fut plus facile en tant qu’intellectuel de mener l’analyse de ce qu’il nomme la « honte sexuelle » que de reconnaître la honte sociale qui le rongeait. (suite…)

Kanata – Episode I – La Controverse

© Michèle Laurent, photo de presse du Théâtre du Soleil

Peindre l’onirique des origines, tel semble être le projet de Robert Lepage et des acteurs du Théâtre du soleil à l’occasion de la représentation de Kanata. La pièce se propose en effet de retracer à petites touches l’histoire des autochtones canadiens, du rêve d’un homme en harmonie avec son milieu au cauchemar du déracinement. Comment témoigner du sentiment de déplacement, alors même que l’on demeure au sein de sa « nation » ? Le metteur en scène et les acteurs deviennent ici créateurs d’espaces au sein d’une ingénierie qui touche au génie : jamais un endroit ne demeure le même, jamais un objet ne se réduit à sa seule fonction. De ce mouvement incessant naît une ivresse, parfois effrayante et source de perdition mais de laquelle bien souvent émerge la plus pure poésie. Les images de la barque glissant sur l’eau, la maîtrise esthétique parfaite des décors filmés ou encore la danse ébauchée des corps transportent le spectateur en un ailleurs poétique. Prendre le temps de la beauté dans un spectacle marqué par une grande violence est un parti pris salvateur. (suite…)

Les Idoles

© Jean-Louis Fernandez, photo de presse de l'Odéon, théâtre de l'Europe

Qui n’a pas un jour rêvé de rencontrer ses idoles ? Qui n’a pas été fasciné par les morts violentes, frappées de tabou, de jeunes comètes qui se désintègrent avant d’avoir atteint leur apogée ? Ici, cette mort violente a un nom et une cause désormais connus : le sida. Et c’est Christophe Honoré qui nous dévoile son rêve le temps d’une soirée, afin de rencontrer les Jacques Demy, Bernard-Marie Koltès, Jean-Luc Lagarce ou autres artistes tous morts sous la même étoile, à 59, 41 ou 38 ans. Dialogue d’abord loufoque entre ces monstres du cinéma, de la littérature ou du journalisme, le spectacle (qui se veut tel, comme le dénote la présence des microphones) hésite entre bizarrerie assumée, humour tendre et émotion et fait doucement surgir la question de la responsabilité de l’artiste. Que faire de son homosexualité et de sa maladie, dans le cas de nos personnages, lorsque l’on est une personne publique ? Doit-on les instrumentaliser, comme diraient les réfractaires à une telle pratique, afin d’attirer l’attention sur une maladie, dont la proportion de malades ne baisse pas, et éveiller ainsi les consciences ? Un artiste peut-il taire son orientation sexuelle ou doit-il user de sa position sociale et parler au nom de ceux privés de voix ? Les six artistes présentés ont tous réagi de manière différente et le débat reste un débat ouvert, aussi parce qu’il demeure extrêmement douloureux. Entre refus de reconnaître son homosexualité (soit par lâcheté, soit par ce que l’on pourrait juger d’anti-narcissisme), affirmation haut et fort et déclaration voulue informelle, il n’y a pas de « bonne méthode ». (suite…)

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