Les comédies méritent et demandent qu’on les mette en scène. Ostermeier le prouve une nouvelle fois à son public en choisissant de monter la Nuit des Rois ou tout ce que vous voudrez à la Comédie Française. Texte shakespearien d’autant plus difficile d’accès qu’il repose sur l’humour, il est ici révélé par la mise en scène exubérante et jubilatoire qu’en propose le metteur en scène allemand. En effet, ce drame de la représentation est une farce aussi cruelle que drôle et qui rappelle à son spectateur à quel point le rire est puissant, et donc bien souvent destructeur. Complice d’une violence tout d’abord latente puis explicite, le rire du spectateur le rend coupable de la méchanceté perverse qu’il voit s’exprimer devant lui. Il s’agit pourtant d’une pièce où l’on rit vraiment et Laurent Stocker et Christian Montenez s’en donnent à cœur joie, mêlant folie, grossièreté, esprit et lucidité. L’aspect contemporain de certains sketchs est ici bienvenu, et placé dans la bouche des fous, il sous-entend que la conscience sociale de l’époque leur appartient et qu’en un sens, c’est à eux que nous devrions prêter attention.
Qui plus est, la pièce se révèle être un véritable laboratoire des genres et des identités, dont le soleil artificiel et les murs blancs qui constituent le décor permettent au spectateur d’y projeter ses propres désirs. Le choix des costumes accentue ce dessein : les jambes sont nues et la transparence de certaines étoffes vise à montrer de manière distinctive le sexe des personnages. Entre boxers dessinant le sexe masculin sous la toile, poitrines révélées par les gaines et le tissu mouillé, l’absence de ces signes devient alors significative : Malvolio puritain réfrène sa sexualité par un costume gris et presque long, Sébastien en costume rose de faux soldat ou vraie majorette épouse son désir homosexuel et Sir Andrew ne sait comment maîtriser les pulsions que son esprit enfantin et malade ne parvient pas à comprendre, tout cela en pyjama ou combinaison blanche à bretelles. Le désir des personnages est enchaîné aux représentations et tabous que la société leur assigne et il faut attendre la déconstruction de ce décor en carton pour être témoin de leur timide expression (ou « embrassez qui vous voudrez », en un sens).
Le mélange des genres est aussi mélange des arts : performance, chant, danse et musique font corps avec le texte. Il est parfois dommage que la beauté et l’émotion dépendent entièrement de la musique et de l’exquis chanteur d’opéra présent sur scène, quand on sait que celle-ci transparaît à même le texte. Néanmoins, ce foisonnement est heureux et le couloir de scène qui s’avance dans le public accentue l’idée de représentation (tel un podium de mode) si centrale dans la pièce. Le pari de la mise en scène de Twelfth Night est donc réussi, desservie par des acteurs de talent, charmants (on pense en particulier à la belle Olivia, interprétée par Adeline d’Hermy) voire géniaux (Laurent Stocker et Christian Montenez).
Pour en savoir plus : https://www.comedie-francaise.fr/fr/evenements/la-nuit-des-rois-ou-tout-ce-que-vous-voulez18-19